Mélanie Muratet-Campos

Poésie primitive

Mélanie Muratet-Campos prélève dans son quotidien des objets banals, des fragments de la vie ordinaire qu’elle assemble, ré organise et re compose en de fragiles et parfois éphémères constructions. « J’emprunte les objets de la vie quotidienne, (…). Ils deviennent par montages et assemblages les témoins de nouvelles situations (..) et évoquent les prémices d’une histoire, d’un souvenir, d’un scénario ».

Le travail de Mélanie Muratet-Campos, à l’instar de ceux dont elle revendique une certaine filiation1, revisite l’histoire des formes en questionnant les notions de valeur, d’usage et de statut de l’objet. Par ailleurs, l’utilisation de matériaux précaires, souvent abîmés, participe d’une stratégie de sabotage des codes de l’art qui rejette toute idée d’esthétisme, de sacralité et d’élitisme.

Ainsi, après avoir inventé d’improbables connexions entre des objets, des contextes et des réalités aux affinités variées, Mélanie Muratet-Campos donne vie à des œuvres dont l’allure frustre, voire l’aspect bricolé, nous porte à croire qu’elles ont été faites à la hâte, instinctivement et sans dessein préconçu. Alliant différentes formes d’expressions : la vidéo à l’installation, la performance à la photo, ses œuvres se déploient dans le champ de l’expérimentation et de la métamorphose un peu comme si les moyens avec lesquels l’artiste allait agir lui importaient plus que l’objet à venir.

Prélèvements, transformations et emprunts sont donc autant de gestes à partir desquels Mélanie Muratet-Campos met en jeu différentes pratiques: l’usage spontané d’objets du quotidien comme d’un vocabulaire naturel, l’évitement de toute rupture entre vie et art qui confère à sa démarche une part d’intime et la défense sans complexes d’un goût enfantin pour « l’à peu près » qui ne désavoue pas sa part de rêve et de magie.

Font alors œuvres des reconstitutions hétéroclites et poétiques, des formes inabouties et processuelles. Un évier ébréché prophétisant au moyen d’un message téléphonique l’extinction prochaine de l’humanité (Post-Apocalyptique, 2013) ; la maquette bricolée d’une maison pavillonnaire d’où jaillissent péniblement fumée, lumière et borborygmes inaudibles (Foyer, 2013 ) ; ou encore 456 feuilles de papier A4 posées à même le sol et sur lesquelles se déploie, de l’intangible au remarquable, une trace de peinture activée par les allers et retours répétés d’une photocopieuse (Again, 2011).

Possibilités. La mer n°1, 2013, exposée au BBB centre d’art est l’une des œuvres que la jeune artiste avait présenté en 2013 pour son diplôme de DNSEP à l’Institut supérieur des arts de Toulouse. Cet incroyable bric à brac désarticulé, où s’entremêlent un dispositif de monstration instable et une vidéo montrant une frêle piscine d’enfant luttant vainement contre le flux inexorable des vagues, est emblématique du travail de Mélanie Muratet-Campos.

Mélancolique et pourtant drôle, l’installation semble avoir été conçue dans l’instant, à partir de ce que l’artiste avait à disposition, pour rejouer un scénario absurde et fragile, une histoire à trous grâce à laquelle Mélanie Muratet-Campos engage l’imaginaire du spectateur dans une dérive abyssale. Ainsi, entre des forces aussi contradictoires que sont la tragédie et l’ironie, la poésie et l’absurdité, l’équilibre et la précarité, la ruine et la construction, se déploie un corpus d’œuvres, de projets héroïques et d’accidents probables qui relie des récits, des époques et des territoires différents tout en interrogeant la place de l’objet et de son recyclage dans le champ de l’art contemporain.

C’est pourquoi Mélanie Muratet-Campos qui envisage son art de manière si empirique, pourrait tout aussi bien faire sienne cette célèbre maxime du chimiste Antoine Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Ou même, comme elle le confie elle-même, celle d’Albert Einstein "Ce qui compte ne peut pas toujours être compté et ce qui compte ne compte pas forcément".

Magali Gentet, responsable déléguée du centre d'art Le Parvis

_ texte commandé dans le cadre de « Première 2013 », une exposition collective et un catalogue coproduits par le centre d’art contemporain de Meymac et BBB centre d’art - 2014

_ en partenariat avec les Écoles nationales supérieures d'art de Bourges et Limoges, l'École supérieure d'art de Clermont Métropole et l'Institut supérieur des arts de Toulouse

1 Simon Starling, Gregory Green, Dieter Roth, Peter Land, auxquels nous associerions bien volontiers l’absurde héroïque d’un Bas Jan Ader, d’un Jacques Lizène ou d’un John Bock…