Exposition « Just a good crash »

Le projet BIG BANGERS se développe sur trois axes de recherche. Le premier est un travail de mise en scène photographique, évoluant de l'image documentaire à la restitution d'une intervention sculpturale, en passant par une recherche plastique autour de la représentation du paysage. Le deuxième est un film, se présentant comme un essai documentaire sur l'obsolescence, le chaos et le lien de cette pratique populaire aux paysages du Nord. Le troisième volet est une recherche sculpturale, par récupération de fragments de voiture et travail de moulage.

BIG BANGERS OU PRATIQUE POPULAIRE DE LA DESTRUCTION

Génèse du projet.

Ma première rencontre avec l’auto-cross eut lieu lors d’une déambulation photographique en septembre 2012 sur le territoire des flandres, française et belge. Attaché depuis longtemps à ce paysage où se côtoient collines et plaines, et qui me renvoie à l’imaginaire de la peinture du romantisme allemand mais aussi aux tableaux de la peinture flamande, de Joachim Patinir à Pieter Brueghel, en passant par Jérome Bosch, je cherchais alors une façon de traiter de ces paysages dans mon travail personnel. Il s’est offert à mes yeux ce jour-là, non loin de Kemmel en Belgique, une scène atypique, tout droit sortie d’un fantasme. Une voiture tournait à toute vitesse dans un champ, à proximité de la route, sans but apparent. Elle y creusait le sol en formant un cercle infini. Hypnotique, ce mouvement circulaire tombait pour moi dans le registre du Land Art, comme une intervention volontaire sur le paysage, la volonté d’inscrire une trace, un tracé même, de sculpter dans la matière même du paysage. Ce geste sculptural semblait réunir des notions qui habitent ma recherche artistique depuis toujours, et notamment la manière dont l’homme investit le territoire qu’il habite et construit des paysages.

L’auto-cross, et par la suite le «Big Bangers», se sont très vite imposés à moi comme motif principal pour aborder ce territoire, un point de bascule entre deux imaginaires à la fois proches et lointains, celui de la peinture flamande avec sa représentation du désordre et du chaos, et celui des films d’anticipation mettant en scène l’apocalypse, ou une vision chaotique du futur, comme Blade Runner, ou Terminator.

L’auto-cross est une pratique amateur de courses de voitures, dans laquelle les chocs entre concurrents sont permis et même recherchés. Ce sport populaire a donné naissance à des pratiques indépendantes, où des passionnés se retrouvent dans des champs, notamment sur le territoire des flandres, comme pour un combat clandestin. Le Big Bangers, dérivé de l’auto-cross, est plus encadré, car se pratiquant, en Belgique en tout cas, sur un circuit privé (situé à Ploegsteert). Mais le Big Bangers, comme son nom semble l’indiquer, est aussi beaucoup plus violent. Il n’y a en soit d’autre but que la destruction atteignant son paroxysme lors des sessions «Unlimited Bangers». Même en compétition, ce sport amateur n’engendre aucun gain pour les participants. L’enjeu pourrait se résumer en une phrase, celle annotée sur le capot d’une Jaguar que j’ai récupéré «Not for a trophy but a good crash».

Le Big Bangers est aussi une communauté que j’ai depuis progressivement intégrée. Chacun pratique l’auto-cross à sa façon, certains se servant parfois des champs et des plaines comme lieu d’entrainement. La fréquentation des membres de cette communauté m’a permis de comprendre que le Big Bangers est une philosophie de vie dédiée au spectacle de la destruction.

CONTEXTE DE LA RECHERCHE

Cette première phase de recherche, de rencontres, d’essais, de récupération de carcasses de voitures, a été rendue possible grâce à l’Aide à la Création de la Drac 2012. Cette aide m’a permis d’opérer une transition dans mon travail, et d’explorer un nouveau champ de recherche. Elle a été dédiée à la découverte de l’auto-cross et de tout ce qui lui est périphérique, à l’exploration approfondie des paysages des flandres, et à la mise en place de ce travail, qui se nommait au départ «Paysage Flamand», mettant en avant le motif principal de ma recherche. Si je sollicite aujourd’hui cette aide a la création en direction des artistes émergents de la Région Nord pas de Calais 2014, c’est pour la Realisation/Production/Finalisation de ce travail. Ce projet a aujourd’hui évolué vers la mise en scène photographique, la production d’un film tourné en 16mm, avec notamment le soutien du Fresnoy dans le prêt d’une camera, et vers une recherche autour d’objets sculpturaux.

PRATIQUE DU PAYSAGE - PREFIGURATION DE L'ABIME

Le paysage est le concept le plus transversal de toute ma recherche artistique. Chaque nouveau projet est une occasion de comprendre mon attrait pour celui-ci. La pratique de l’auto-cross apparait dès lors comme une clef m’aidant à questionner ce territoire des flandres dont je me suis toujours senti proche. Mon intuition est qu’elle incarne toute la mélancolie présente dans ce paysage et celle de l’imaginaire chaotique de la peinture flamande. Ces configurations sculpturales de voitures, que l’on nomme dans le jargon amateur des «auto-sculptures», matérialisent aussi une vision chaotique du monde, et du futur. La voiture, objet symbolique de notre modernité, se voit souvent réduite à l’état de ruine dans le cinéma post-apocalyptique, comme en parle Peter Szendy dans son livre l’Apocalypse Cinema. Des films comme Terminator, Mad max, Blade Runner ont nourri l’imaginaire de ma jeunesse d’images de destruction inhérentes à une certaine vision du futur. Ainsi ces «auto-sculptures», résiduelles de cette pratique populaire, et réunies sous le terme «Carpocalypse», figurent le chaos au sein de ce paysage paisible et anachronique. L’intention première du projet est de mettre en image cette tension, cette dialectique entre représentation passée et mythologies/visions futuristes qui se figent dans le paysage et les carcasses de voitures qui l’habitent.

- Un projet photographique.

La pratique du Big Bangers a pour moi un potentiel sculptural et pictural particulièrement riche. L’auto-cross génère des formes et trace des empreintes dans le paysage, qui font écho à certaines oeuvres du Land Art. Je pense notamment aux oeuvres de Michael Heizer. Ainsi, ce qui m’intéresse ici, c’est que ces amas sculpturaux créés par le Big Bangers et déposés volontairement au milieu d’un champ ou d’une parcelle de terrain typique du paysage flamand, matérialisent plusieurs états, plusieurs suppositions quant à leur nature, s’assumant en tant que gestes ou traces d’une action. L’image photographique qui en résulte est à la fois la documentation d’un geste sculptural et l’incarnation d’une recherche plastique sur l’imaginaire du paysage flamand, et son lien aux visions apocalyptiques.

- Un projet filmique.

Accompagné depuis de nombreuses années par la lecture d’essais anthropologiques et sociologiques, allant de Claude Levi-Strauss à Edgar Morin, c’est la première fois dans mon travail que je parviens à faire se relier une pratique sociale et un paysage, ce que Pierre Bourdieu appelle une Pratique du paysage.

La dimension anthropologique de ce projet apporte des éléments clef dans ma recherche. A travers la désacralisation de l’objet, où la voiture en ruine devient trophée, la pratique du Big Bangers met à mal la notion de progrès et nous plonge dans une sorte de culture primitive, brutale, chaotique, possédant ses propres règles et définissant ses propres limites, qui semble faire écho à une société qui produit ses propres ruines. C’est à travers le film que j’aimerais aborder cet aspect de la recherche. Le film me permet de réitérer le processus à l’oeuvre dans l’auto-cross, avec la voiture comme personnage central. Il s’agira de faire se déployer dans le temps des moments de basculement, de transgression, de destruction, mais aussi de reproduire un mouvement, celui de cette boucle infinie, de la naissance à la destruction, incarnée dans cette rotation hypnotique d’une voiture qui tourne dans un champ, mais aussi dans les derniers soubresauts d’une carcasse encore vivante.

- Un projet sculptural.

La dimension sculpturale du projet trouvera son plein accomplissement dans une proposition de moulages matérialisant les chocs, les «espaces de rencontre» entre deux voitures. La violence de ces chocs se trouvera incarnée dans les vides et les interstices. En résonance avec la photographie, ces moulages se présenteront comme des négatifs d’une pratique qui mise sur la disparition plus que sur l’apparition. J’aimerais réaliser ces moulages en béton, et les présenter au sol.

David De Beyter

Vit et travaille à Tourcoing | Né en 1985

Medium principal
photographie.


Démarche artistique
David De Beyter utilise le médium photographique. Son travail tisse un réseau complexe de références et de processus aussi bien liés à l’image, qu’à la sculpture, l’architecture ou encore l’anthropologie. Chaque image qu’il conçoit implique une réflexion sur le paysage, en tant que forme, archétype, système construit, et devient un modèle de formes autonome.

Projets passés au BBB
2012 Exposition « Stratégies des espaces, séquence #2 »
2012 Edition « Ephéméra »

Exposition « Just a good crash »
David De Beyter se signale à l'origine par une photographie de paysages techniquement très au point et intrigante dans son sujet. Il documente des paysages déserts et des architectures utopiques maintenant historiques. Il a été présenté au BBB centre d'art en 2012 pour l'exposition collective « Stratégies des espaces » puis participé à l'évènement « Manifesto » à l'invitation d'Alain Fleischer.
Avec « Big bangers », David De Beyter s'émancipe du médium photographique. Cinéma, installation et sculpture prennent possession du centre d'art. Le cœur de l'exposition, est la première présentation de 3 films sur la pratique du « Big bangers », un dérivé de l'autocross, sport populaire pratiqué dans le Nord de la France. La beauté du geste et la philosophie de la communauté réside dans le fait de détruire des véhicules via des chocs violents et l'ultra vitesse « cramant » les moteurs (avec comme devise, pas de trophée mais un bon crash) : une esthétique de la destruction, où dans le jargon amateur, un crash et l'épave qui en résulte... c'est une auto-sculpture.

Inspiré par ces rencontres et le potentiel pictural et sculptural de cet univers, David De Beyter va pouvoir déployer une esthétique précise et barrée, où le paysage est chaos, en digne héritier de lapeinture flamande du16ème siècle ou des films d'anticipation comme « Blade Runner ».

- Cécile Poblon

Partenaires coproducteurs : BBB centre d'art - Toulouse, image/imatge, centre d'art contemporain - Orthez et le CPIF centre photographique d'Île-de-France - Pontault-Combault

Soutiens : Drac Nord-Pas de Calais, FRAC Franche-Comté, Fresnoy Studio national d'arts contemporains - Tourcoing, Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques (commission mécénat)

David DE BEYTER -  Auto-sculpture III,  2015.  Courtoisie de l’artiste

David DE BEYTER - Auto-sculpture III, 2015. Courtoisie de l’artiste

David DE BEYTER -  Auto-sculpture II,  2015  (still frame).  Courtoisie de l’artiste.

David DE BEYTER - Auto-sculpture II, 2015 (still frame). Courtoisie de l’artiste.

David de Beyter,

David de Beyter, "Just a good crash ", capture, film, 2015

Big Bangers, Archive de Geert Bulcaen

Big Bangers, Archive de Geert Bulcaen

Just a good crash

Just a good crash

Just a good crash

Just a good crash

Just a good crash

Just a good crash

Just a good crash